La Liberté

Chapitre 15 - Ode d'un autre temps

Le monde change, valse sans se reposer. Pas après pas, il avance les yeux fermés, ignorant le chemin qu’il a parcouru. Mais parfois, les bribes d’un passé ressurgissent, et c’est à reculons qu’il avance.

Dans le cœur de la Capitale, il battait une pulsation qui rêvait d’un lendemain éternelle.
Dans le cœur de la Capitale, il battait une pulsation qui rêvait d’un lendemain éternelle.

Kimy Dieu

Publié le 09.01.2024

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Article en ligne – Nouvelle » Le vent balayait les allées de ses bourrasques venues des quatre horizons. Époussetant les pavés d’une cendre amenée par un autre temps, il épousa bientôt les formes d’une curieuse voyageuse, faisant voltiger sur un parterre de fleurs l’ombre de sa triste présence. Peut-être lui souhaitait-il la bienvenue dans cette ville mordue par les siècles, en lui laissant dans son sillage un bouquet aux fleurs écornées. Elle ramassa un pétale, l’observa un instant sous la pâle lueur du jour, puis le rendit aux mains d’un souffle fugace. La Capitale avait changé. Le monde avait changé. Et elle, elle ne demeurait que la spectatrice d’un nouvel âge auquel se succéderaient un jour ou l’autre les chapitres d’une nouvelle ère. Mais l’aube de ce futur prochain saurait se faire attendre, après tout, le temps ne courait-il pas en ce moment dans un présent encore juvénile ?

 

Des rires fusaient de la Place des Anges, mêlés aux tintements des verres trinqués à l’angle d’un quartier. De ses mètres que l’on ne comptait plus, le clocher dominait la cité de sa stoïque stature, tremblant à toutes les heures d’un écho monotone. Encore. Encore et toujours. Dans le cœur de la Capitale, il battait une pulsation qui rêvait d’un lendemain éternel. « Tu le lui as donné, non ? », pensa-t-elle. Assise sur un banc, observant la vie se mouvoir de ses plus beaux gestes, elle sortit de son manteau un jeu de cartes griffonné par le temps. Elle en tira une carte, laissa le hasard guider sa main, jusqu’à ce que se dessine dans sa paume, les contours d’un joker au masque abêti d’un sourire défiant. Il la narguait de sa sage imbécilité, et si les mots lui manquaient, elle percevait dans son silence les vocables d’une parole qui aurait dû naître, alors, elle lui rendit son mutisme.

 

Il était un monde où régnaient les dieux et habitaient les hommes

Mais le temps menaça d’emporter les vestiges d’une ère dans le tombeau de l’Oubli

Fragiles étaient les mémoires des uns

Vacillants étaient les cœurs des autres

 

Il était deux frères qu’un petit dieu avait réunis

Sous la coupole des étoiles, ils marchaient sur des routes inconnues

Mais leurs chemins se séparèrent

Et l’un traça du bout de son doigt le sentier d’un nouveau monde

 

Il était des cités tombant sous la main d’un dieu qui avait peur

Rien pour l’arrêter, tout pour le retenir

Rêve après rêve, sa fin lui tendait la main

Et d’un geste, il la repoussa

 

Il était une rébellion qui anima la terre et décrocha le ciel

Porté par les voix de ce monde, il s’avança face au dieu de ses tourments

De son impuissance, il invoqua un titan

Et ce fut la fin des fins

 

Il était un monde où vivaient les hommes

Le temps effaça de leurs mémoires les traces d’un passé légendaire

Mais le soleil continua de se lever et la terre continua de tourner

Sous l’aube d’un lendemain dont on pouvait rêver

 

Ses mots flottèrent un instant dans l’air, portés par un écho qui résonna comme le souvenir d’un étrange songe. Le silence régnait désormais sur la Place des Anges, sous le bruissement des cartes que l’on rangeait dans un paquet. Elle se leva, observa encore une fois le clocher grelotter sous les assauts d’un vent taquin, et s’en alla se perdre dans une ruelle aux mille et une dalles. La Capitale l’avait engloutie, elle et les récits que portait sa voix. Elle ne laissa aucune trace, mais à celui qui aurait été attentif, peut-être aurait-il remarqué son hommage, seul et gisant sur un le banc d’une place qui serait un jour tracée des mémoires. Une carte. Un joker au sourire facétieux, au nom béni par les étoiles d’un petit dieu. Orion. Le monde oublierait ses syllabes et son écho raviverait les légendes.

Articles les plus lus
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11